Avant de partir de Poffabro, je comptais me coucher tôt et passer une longue nuit pour être en forme. C’était sans compter sur Omar, le voisin. Motard, épicurien et charcutier amateur, des ingrédients qui ont forcément provoqué la rencontre. Omar a entrepris de me faire gouter tous les vins du Friul avant que je parte, j’avoue que j’ai un petit faible pour les vendanges tardives. J’aimerais bien aussi, être grippé à Poffabro, son remède anti grippal consiste en une macération de fruits sec dans de la grappa ou du cognac. C’est bon, mais ça fini de m’achever.
Je pars donc en mode « diesel » pour une étape principalement descendante dont la seule réelle difficulté est de gérer la chaleur des plaines. Je visite les petites villes et les églises de Maniago et Spilimbergo. Dans cette dernière cité, je rencontre une équipe cycliste paralympique mixte, ils sont impressionnés par mon vélo et moi par les leurs. J’essaie d’en savoir un peu plus sur leur projet, ils font, semble t’il, un tour d’Italie en promotion des handisports, j’essaie de poser des questions, mais quasi aucune de mes interrogations ne reçoit de réponse autre qu’une question par rapport à mon voyage. Avec la team technique, à 10 contre un, je fini par capituler. Je ne saurai pas grand chose de leur projet.
Je reprends la route, en direction du jardin de Francesco, un hôte « Warmshowers » chez qui je passe une belle soirée à refaire le monde. Francesco a découvert le voyage à vélo un peu par hasard suite à une rencontre en Asie, il acheté un vélo et fait un voyage d’un an. Son rêve maintenant, vivre en quasi autarcie avec son potager et ses poules pour lesquelles il construit un abris avec des meubles de récupération. Chouette soirée, chouette rencontre.
Je reprends la route, toujours en plaine vers Udine, où je compte tenter de faire un test Covid rapide pour passer la frontière Slovène. Oui mais !!! Si les résultats sont rapides, les tests de la sont pas, 24 ou 48 heures d’attente. Tant pis, je n’ai pas envie de passer 48h à Udine et de dépenser une fortune en logement (pas de camping, pas de réponse des warmshowers contactés). Je reprends la route, normalement la preuve que j’ai sur moi d’avoir reçu une dose de vaccin est suffisante pour une entrée légale en Slovénie, je me muni quand même d’un test rapide, que je ne sortirai qu’au besoin… Après une très longue pause à l’ombre, pour laisser passer les heures les plus chaudes, je roule calmement et dors pas loin de la frontière.
Je n’aime pas les frontières, déjà rien que ce terme à consonance militaire et nationaliste me stresse. J’ai toujours une petite appréhension à l’approche de ces lignes fictives et conventionnelles qui séparent les hommes avec un arbitraire qui se révèle souvent plus glauque encore quant il s’agit des limites de l’ancien bloc de l’est. Je n’aime pas plus les douaniers, responsables des contrôles de cet arbitraire. C’est donc légèrement stressé que je démarre le matin, même si je sais que je ne quitte pas l’Espace Schengen, je me dit que la « petite grippe pangoline qui rode », aurait pu provoquer l’installation de nouveaux contrôles. Il n’en est rien, je passe la frontière, et je descends vers la petite ville de Kobarid, où j’apprend mes premiers mots indispensables de la langue locale. Je retrouve avec le sourire les consonances slaves que j’adore et les petites saucisses épicées et violemment aillées dont je fais mon pique nique. Dès la frontière les paysages agricoles ont un peu changé, les parcelles sont plus petites et les cultures plus variées semble nettement moins intensives. Je remarque aussi l’omni-présence de jolis potagers aux légumes appétissants.
Je reprends, sans me presser la route de Bovec, puis en direction de la vallée de la Soča et du col de Vršič. A la sortie de Bovec, je vois devant mois un sacochard, un peu plus léger que moi mais fort chargé quand même. Je tente de le rattraper, il est peut être dans le pays depuis plus longtemps que moi et j’espère échanger des informations et peut être partager un moment de route. Je pars en « chasse patate », je me rapproche doucement sans trop forcer. Je grappille mètre par mètre sans me mettre dans le rouge, je sais que, chargé comme un poids lourd, je n’irai pas significativement plus vite en augmentant mes efforts. Il reste 100m, 50, 20, 5… je tente un « bonjour ». Il se retourne, me voit, monte sur son vélo en danseuse et accélère, j’abandonne la poursuite et je le laisse filer, dommage !
Plus j’avance, plus la route est belle, les paysages deviennent même époustouflants, je longe la plus belle rivière que j’ai jamais vue. La nature de plus en plus sauvage et la couleur turquoise lumineuse de l’eau, caractéristique des roches karstiques de la région est splendide. Je cherche à installer ma tente dans une prairie ou l’autre, chez l’habitant. La région est probablement beaucoup trop touristiques et chacun m’envoie vers l’un des nombreux camping. Je fais finalement une pause d’un jour dans l’un d’eux.
L’après midi, après avoir écrit les lignes qui précèdent, le moral plonge un peu, je m’ennuie seul dans le camping, mais mon corps à besoin de repos, et ne rien faire c’est compliqué. Je décide donc de me faire une expérience, la cuisine du camping est équipée d’une plancha au gaz, je tente un pain avec une pâte légèrement huilée à l’huile d’olive, ma pâte est un peu sèche, le pain ne monte pas bien, mais le résultat est prometteur. Et je passe finalement une soirée agréable autours du feu avec quelques touristes venus de différents pays d’Europe.
Le lendemain, les choses promettent d’être sérieuses, tout le monde me le répète depuis quelques jours, les pentes du col de Vršič sont redoutables. Pendant le premiers km, je flâne, ça monte légèrement, mais rien de vraiment impressionnant, la rivière tantôt large, tantôt très étroite et rapide est toujours aussi belle. A 9km du sommet environ, tout change, un panneau annonce 14% sur le reste de l’ascension. C’est plutôt un bon 10% de moyenne avec des passage nettement plus pentus, j’avance doucement, profitant de nombreuses pauses pour admirer les paysages et reprendre mon souffle. La circulation n’est pas trop dense, et je suis même très agréablement surpris du comportement routier des locaux et des touristes étrangers. La plupart des véhicules me dépassent plus que prudemment, les chauffeurs patientant même sagement derrière moi quand la visibilité n’est pas suffisante. Beaucoup m’encouragent. A vrai dire, le pire, ce ne sont pas les voitures elles même, mais plutôt leurs odeurs, les gaz d’échappement, certes, mais surtout l’odeur acre, collante et persistante de freins ou d’embrayages cramés. Je déteste cette odeur, qui irait jusqu’à me donner la nausée et qui me vaut d’ailleurs quelques pauses supplémentaires, souffle coupé.
La descente est raide elle aussi, et les virages en pavés nécessitent d’y aller prudemment. Je freine beaucoup et mes jantes chauffent en proportion. Je fait, là aussi, quelques poses pour les laisser refroidir et éviter l’éclatement d’un pneu. A la boucherie, je découvre des « Bonhinjska Zaseka », sorte de « rillettes » locales mais réalisées sur la base d’un mélange de lards frais et fumés, avec beaucoup d’ail. L’idée me séduit pour un bon pique nique, ça tient au corps. De retour dans la vallée s’ouvre une jolie voie verte le long de laquelle je dors près d’une buvette dont la patronne a laissé pour moi l’accès à l’eau et à la toilette. Le bivouac parfait, avec même une bière avant de monter la tente.
Je me suis fait avoir par le dimanche, tout les magasins sont fermés, je n’ai plus grand chose dans mes réserves et c’est donc presque à jeun que j’attaque le col de la journée, bien raide lui aussi. Heureusement, à mi-montée une ancienne station de sport d’hiver aux improbables vestiges de remontées mécaniques en bois, et son auberge me permettent de me restaurer et d’atteindre finalement le sommet sans trop de difficultés. Le soir, je pensais dormir près du lac Bohinjsko Jezero, mais une météo d’averses me décourage un peu. Je demande à un paysan pour pouvoir planter ma tente à côté de son luxuriant potager. Il m’ouvre sa grange au sec, seule consigne, ne pas faire de feu, ne pas cuisiner. Je me restaure donc d’une choucroute locale fort grasse (cuisinée avec des « grattons » semble t’il) mais réparatrice à l’auberge du coin. J’y rencontre un couple de routard français avec qui je passe une bonne soirée à parler de voyages.
Au réveil, il ne pleut plus, mais le plafond bas me décourage de passer par le col dans le brouillard, et je prends donc une grand route, souvent dotée d’une piste cyclable en direction de Bled et Kranj, les slovènes sont toujours aussi cool au volant. En route, je croise un duo belgo-italien de cyclotouristes avec lequel j’échange quelques mots, nous nous connaissons déjà de loin par Facebook interposé. Je campe dans l’espace naturiste d’un camping, ce qui me permet de faire intégralement la lessives de ma sacoche garde robe. J’en profite aussi pour faire, une première tentative à revoir, de pâtes fraiches à cuire sans eau au bivouac.
Je reçois relativement peu de réponse aux messages que j’envoie sur le réseau Warmshowers, mais Tiane, une de mes contacts Facebook, m’a gentillement recommandé de passer une soirée à Skofja Loca chez Igor et Mateja. Ce que je fais après une étape courte et une sympathique visite de la vieille ville. Nous passons la soirée à discuter en anglais et en français. Je repars donc avec beaucoup d’informations utiles pour la suite de mon itinéraire et pour la visite de Ljubjana. Igor est passionné de montagne, à pied et à vélo l’été, en patin à glace l’hiver. Il écrit des livres, richement illustrés qui proposent des itinéraires prometteurs, mais je ne lis pas le Slovène. Je repars aussi avec une liste impressionnante de choses à gouter.
Je passe quelques jours à Ljubjana, pour m’y reposer un peu. J’en profite pour me renseigner au centre de vaccination et je parviens à convaincre de me faire offrir ma seconde dose, après quelques coups de fil à la hiérarchie. Toujours ça de pris pour les prochains passages de frontières. Ljubjana, ne me séduit pas particulièrement d’un point de vue esthétique mais la ville est agréable et y circuler, tant à vélo qu’à pied est un vrai bonheur. Presque partout, le « bruit » dominant est celui des oiseaux qui nichent dans les nombreux espaces verts.
Je reprends la route lundi vers les montagnes… à suivre…
La carte depuis le départ le 1 juillet 613km.