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Je me lève très tôt, pour prendre le bateau en direction de Lopar sur l’île de Rab, où je profite d’un magasin ouvert pour faire mes courses, dimanche oblige. Il y a un monde fou, personne ne respecte aucune règle de distanciation, les gens se collent se poussent, se bousculent, se frottent. La musique issue du « Hit Parade » local est simplement assourdissante, l’odeur indescriptible, mélange de bouffe et de sueur. Le magasin donne une impression de saleté et d’insalubrité tellement la foule ne respecte rien. Je me sens oppressé, mal à l’aise. J’ai laissé Grimp’tout seul dehors, attaché certes, mais équipé de toutes mes sacoches sauf de celle qui contient mon petit matériel électronique que j’ai emmenée avec moi. L’ambiance des cités balnéaires ne me va vraiment pas, je n’aime pas les endroits touristiques populaires et populeux et pour la première fois de ma route, je me sens un peu en insécurité matérielle. La foule attire potentiellement des voleurs et je crains un peu, je tente de me rassurer en me disant que celui qui parvient à partir avec Grimp’tout ainsi chargé n’est pas le premier voleur venu. Mais je passe un très mauvais et trop long moment dans le magasin. Quand je sors il pleut, beaucoup de monde c’est entassé à l’abris de l’auvent, je n’ai qu’une envie, fuir. Et je fuis ! Je prend la route espérant une amélioration. Tout de suite, ça va mieux, la route est plutôt agréable et des coins de ciel bleu me font espérer une météo favorable pour l’après midi.
Les cigales se mettent à chanter dans les champs d’oliviers, le soleil sort, la route me réconcilie avec les îles et je flâne quittant souvent la voie principale pour visiter les villages qui manquent quand même un peu de charme. Souvent l’odeur caractéristique du figuier sauvage vient titiller mes narines, bientôt les fruits seront mûrs et je pense bien m’en régaler. Doucement, le paysage change et devient de plus en plus désertique, presque lunaire. La mer est bleue incandescent, j’avance sans presque me rendre compte que le vent souffle de face. J’atteint le sud de l’île où je prend un second bateau pour rejoindre le continent. Sur le bateau je regarde les immatriculations des voitures, moins de 10% sont croates, beaucoup de plaques allemandes, quelques unes d’autres pays de l’Ouest. Je me rends alors vraiment compte que voyager est un réel luxe, je n’en doutais pas trop, rares sont ceux qui peuvent se le permettre dans le pays. Je comprends aussi pourquoi je trouve que presque partout l’accueil manque de chaleur et que j’ai l’impression que je me résume pour les habitants à ma carte de banque.
A la sortie du bateau, je fais le plein de mes bidons d’eau, chez une charmante et souriante aubergiste avec qui j’échange quelques mots en anglais.Les sourires sont tellement rares ici que je savoure. Le soleil est devenu violent, presque brulant, la pete est raide et je bois beaucoup, mes réserves s’épuisent vite, beaucoup trop vite à mon goût. Je crains de tomber à sec, et j’invente l’eau-to-stop, le pouce pointé vers mon bidon. Une voiture s’arrête et m’offre une bouteille d’eau fraiche, cet eau-tomobiliste me sauve, promis pendant quelques jours je ne dirai plus de mal des gros SUV. Sauf peut être de ceux relativement nombreux, qui pour garder la climatisation, laissent tourner leurs moteurs pendant les traversées en bateau ou pendant qu’ils font leurs courses au magasin.
Je reprends la route et un seconde voiture s’arrête à ma hauteur, le chauffeur à été jusqu’à une pompe à essence m’acheter une bouteille d’eau qu’il m’offre aussi. Je longe la côte et la route quoi que relativement importante n’est pas trop fréquentée, heureusement parce que les conducteurs croates sont beaucoup moins cyclo-amicaux que leurs collègues slovènes, les pires étant ceux qui klaxonnent pour annoncer leur approche puis qui ensuite estimant avoir prévenu, dépassent en frôlant à grande vitesse, quelques coups de frayeurs, mais j’ai déjà vu et sûrement je verrai pire plus loin.
Au loins je vois l’île de Pag et ses paysages lunaires. Je sais que retourner sur les îles risque d’un peu grever mon budget puisque le bivouac y est compliqué et que je vais devoir payer un bateau en plus des campings. Mais le paysage m’attire vraiment et je décide de céder. Je ne le regrette pas, j’ai l’impression de rouler sur le Lune, c’est superbe. Quand le soir, je me présente au camping, l’accueil par une garde en uniforme de sécurité y est froid, presque agressif. J’ai l’impression d’être à la douane, on me demande mon passeport, ma carte de vaccination. Le camping est hors de prix, 13 euros plus une personne et 23 pour l’emplacement, je refuse de payer ce prix excessif. En sortant je repère deux jeunes cyclo-voyageurs, nous discutons un peu et nous inventons un deal, celui de partager ensemble un emplacement et de limiter ainsi les coûts. Ça reste cher mais nous sommes tous les trois fatigués et il se fait tard. Je retourne à la réception, j’explique à la préposée que finalement nous sommes 3 personnes et que nous allons partager l’emplacement. Elle me répond que nous ne sommes pas arrivés ensemble, puisque je suis d’abord venu seul,et que donc elle est « obligée » (j’aime en passant le choix de ce mot) de nous facturer deux emplacements. Je m’énerve un peu, lui explique que demander à un cycliste sans voiture le même prix qu’à une camping-car de 8 mètre est une absurdité, mais que refuser que des cyclistes partagent leur emplacement en est une autre. Elle me répond agressivement qu’on n’est pas au marché et que c’est comme ça. Finalement ce fut une chance de me disputer avec cette dame, j’ai quitté le plus grand camping que j’ai vu dans ma vie, plus de 2000 emplacements (imaginez la fortune brassée tous les jours, le camp était presque plein), pour atterrir dans un petit camping familial quelques km plus loin ou d’emblée le patron me dit de ne pas regarder le tarif parce qu’il fait un prix spécial pour les cyclos, et en plus il m’offre une bière ! Je savoure.
Ma tente a quelques soucis de mats, j’attends des nouvelles du SAV de la marque qui devrait m’envoyer les pièces de rechange chez un ami à Belgrade ou à Bucarest, mais en attendant, je crains que l’utiliser ne l’endommage encore plus. Je profite donc de mon passage près de Zadar, pour aller m’acheter une toile bas de gamme provisoire que j’offrirai certainement plus loin à des enfants. En attendant que le colis arrive, je redéfini mon itinéraire, c’en est provisoirement terminé de l’idée de descendre vers la Grèce. Cap sur la Roumanie et même si visiter le littoral a été fort beau je suis content d’être revenu dans les terres. Je trouve un joli camping avec piscine à prix raisonnable pour la région, la chaleur des îles et la circulation intense m’a bien fatigué, je décide d’y passer deux nuits et de ne rien faire d’autre que de lire et de profiter. Je rencontre Rémy, un jeune motard français, nous passons une soirée ensemble à parler cuisine et voyage. Rien que le bonheur de pouvoir parler dans ma langue maternelle, j’apprécie la rencontre et bien sûr nous partageons le repas dont je me charge avec plaisir.
J’ai dans l’idée de rouler vers Zagreb, pour visiter la ville avant de mettre le cap sur Sarajevo dont une amie me parle des étoiles plein les yeux. La route est infernale, il y a beaucoup de circulation et je me fais régulièrement frôler à grande vitesse. Les paysages ont radicalement changé, je suis sur un plateau presque plat et j’ai le vent dans le dos, j’avance bien, mais j’y prend relativement peu de plaisir. Les villages sont rares, je croise beaucoup de maisons abandonnées encore criblées des impacts de balles. Ça file le bourdon. Sur les bords du chemins, il y a quelques petits kiosques où se vendent miel et fromages locaux, des choses bien appétissantes. Je m’arrête devant l’un ou l’autre, l’accueil est froid, absolument pas sympathique. J’essaie de discuter avec une des vendeuses qui pourtant parle anglais assez couramment. J’aimerais en savoir plus sur ses fromages, son élevage, ses techniques de fabrication et de fumage, j’aimerais si possible visiter la laiterie de la ferme qui se trouve juste derrière elle. Elle me répond à peine, sèchement. Je trouve son fromage très cher, d’un prix touristique complètement surfait, frisant l’arnaque. Sa seule réponse est que je si je n’ai pas assez d’argent elle accepte la carte Visa. Elle comprend que je n’achèterai pas, et coupe complètement le dialogue et retourne s’assoir me tournant le dos. Dommage, mais ça semble, à quelques exceptions près le mode de fonctionnement du coin, tu paies ou tu ne m’intéresses pas. Les touristes sont des Euros ambulants et c’est le seul intérêt qu’il semble y avoir à échanger avec eux. A plusieurs reprise, je retente ma chance, je me dis que je vais finir par croiser un producteur fier de ses produits qui me fera visiter son lieu de production, même cher, à celui là je serais prêt à acheter un morceau de fromage fumé. Je vais d’échec en échec. Toujours l’impression qu’il est écrit Visa Mastercard sur mon front, ça ne m’est pas arrivé souvent mais pour une fois j’ai l’impression que même le fait de voyager à vélo ne me donne aucun statut spécial. Je me sens comme un automobiliste à deux roues,ou comme un mouton qu’on s’apprête à tondre.
En fin de journée, je me dis qu’arrivé en montagne, l’accueil devrait être plus agréable et que je vais pouvoir demander à monter ma tente dans un jardin ou l’autre. Je reçois refus sur refus, sans même un sourire. Même pas un d’où viens tu ? Où vas tu ? Pourtant si classique quand on voyage à vélo. Rien ! Aucune interaction. Le pays est beau mais les gens commencent sérieusement à m’ennuyer. Partout, quand je demande à planter ma tente on me renseigne le camping ou l’hôtel le plus proche. Et des panneaux « attention ours » qui invitent même les automobilistes à ne pas s’arrêter, me dissuadent de l’idée d’un bivouac sauvage. Mon moral plonge un peu. Je fini par m’arrêter dans un premier camping, 25 euros pour une installation succincte, une prairie en pente, une cabane sanitaire même pas propre et une douche froide, évidement je ne reste pas. J’arrive dans un second camping, nettement moins cher, le patron me dit « yes » quand je lui demande s’il parle anglais. Pourtant son vocabulaire se résume à quelques mots, il me demande « one tommorow or two tommorow ? ». Je mets un certain temps à comprendre qu’il me demande si je reste une nuit ou deux. Ensuite il m’écrit le prix sur un morceau de papier et me dit « Pay now ! », fin de dialogue. Je pense avoir fait le tour de son vocabulaire anglais. Toujours pas le moindre sourire.
J’en ai marre, je suis à quelques km de la frontière de la Bosnie, j’abandonne l’idée d’aller voir Zagreb et de prolonger l’expérience dans ce pays très beau mais cher et qui m’est si peu sympathique. Je croise de jeunes Français avec qui j’échange mes derniers Kuna contre des Euros et je prends la route vers la frontière. Caricaturalement, le douanier Croate est sévère, le visage fermé, il contrôle mon passeport et sans un mot me fait signe que je peux passer. Le douanier Bosniaque par contre est souriant, et après un contrôle très succinct appose sur mon passeport le cachet d’entrée en me souhaitant « Welkom in Bosnia ». Il n’a même pas regardé mon certificat de vaccination. Je me sens déjà mieux. Sur la route, je croise les premiers minarets, j’arrive en terre d’Islam et je prends ça pour un bon signe. L’accueil de l’étranger voyageur fait partie des obligations de la religion et j’apprécie d’autant plus qu’ici l’Islam semble très libéral, les femmes ne sont pas voilées et sont le plus souvent habillées à l’occidentale, on vend de la bière et du vin dans tous les bars. Je me pose deux nuits à Bihac dans un petit hôtel avec la climatisation, pour un prix inférieur à celui d’un camping basique de l’autre côté de la frontière.
En quittant Bihac, j’ai préparé un itinéraire avec mon application habituelle (routeyou), en choisissant l’option « vélo de loisir, le plus joli ». Je quitte la ville par des petites routes qui rapidement s’élèvent, et le bitume disparait, je suis sur une piste forestière. La pente est raide, la piste défoncée et plusieurs fois sur quelques centaines de mètres je dois pousser Grimp’tout, dont les roues s’enfoncent dans de profondes « flaques » de gravillons meubles. cC’est dur, même très dur, je n’avance pas et je me mets à douter. Ne pas avancer, galérer pour faire chaque mètre, pour la première fois je me dis que j’aurais du écouter les bike-packers intégristes de l’ultra light, que je suis vraiment trop lourd. J’envisage de détacher la remorque et de monter en plusieurs fois tellement il est dur de pousser le vélo dont le roue avant de met en travers dans les gravillons. Si c’est comme ça tout le temps, ça ne va pas être possible. J’ai mis 2h45 pour faire 10km ! Je n’avance pas et je commence à craindre pour mes réserves d’eau. La piste et belle mais vraiment impraticable. Je consulte Google Map, la carte annonce que je rejoint bientôt une route important, affichée en jaune sur l’application, je me dis que ça ira mieux. En fait de route important, c’est aussi une piste, mais il y passe un tout petit peu plus trafic si bien que le revêtement est nettement mieux tassé et donc plus roulant. J’avance, doucement, mais j’avance.
Le paysage est sublime et je m’amuse sur le vélo plus que jamais. De part et d’autre du chemin des panneaux annoncent des champs de mines dans la forêt et je croise d’ailleurs des voitures militaires du service de déminage. Ça fait un peu froid dans le dos ! Seul avantage peut être de ces champs de mines, l’humain n’a plus mis les pieds dans cette forêt depuis fort longtemps et la nature est luxuriante. Les arbres en développement libres, des plantes grimpantes, des oiseaux partout et une foultitude d’insectes, la nature semble avoir repris ses droits et c’est beau.
Le soir, je m’arrête dans une épicerie de village pour m’acheter à manger et faire le plein d’eau. Je discute avec l’épicière en « google traduction », je lui explique que je cherche un endroit pour planter ma tente en sécurité. Sa réponse est simple, mets toi où tu veux, personne ne viendra t’ennuyer, mais évites d’entrer dans les forêts, encore ces fichues mines ! Je dors donc dans une prairie et je profite du soleil qui se couche tôt ici pour observer le ciel sans pollution lumineuse. Nous sommes au pic des Perseïdes, et je vois passer plusieurs dizaines d’étoiles filantes. Je m’endors finalement assez tard, m’étant souvent dit, « à la suivante je vais dormir », mais c’est tellement beau !
Je reprends la route qui alterne entre bitume et piste, parfois la route n’est goudronnée que pendant quelques km le temps de traverser un village de réapprovisionner en eau et de faire quelques petites courses. Je bois de l’eau pétillante en bouteille, elle ne le reste pas longtemps pétillante dans les bidons, mais j’ai trouvé une marque relativement chargée en sodium et en magnésium, ce qui n’est pas négligeable à l’effort avec des températures tous les jours supérieures à 30 voire 35 degrés, je bois beaucoup. Je m’amuse tellement sur les portions non revêtues, les plus sauvages, que c’est presque à regret que je vois réapparaitre les aménagements routiers. J’en prends plein la vue, les km défilent en douceur sans même que je ne m’en rende vraiment compte, malgré les pentes, malgré les cailloux, malgré la tôle ondulée parfois. Par contre, si bitume veut dire présence de village et de ravitaillement, c’est aussi le plus souvent le signe de quelques conducteurs au comportement peu cyclo-amical qui me frôlent parfois à grande vitesse. Vive mon rétroviseur ! En fin de journée, avant de chercher mon bivouac, je m’arrête dans un petit bar, pour une « bière de fin de journée », le patron me l’offre, impressionné par mon vélo, puis c’est au tour d’un client de m’en offrir deux. Je refuse les suivantes, au risque de froisser un peu les personnes qui auraient aimé aussi m’en offrir, mais je dois reprendre la route et me chercher un lieu de bivouac pour la nuit qui tombe tôt.
Soudain un grand fracas sous mes roues, la dernière de mes sacoches dont les soudures n’avaient pas encore lâché s’ouvre sur toute la hauteur, mon matériel de cuisine se répand sur la route. Ces sacoches VAUDE sont vraiment de la daube, à vivement déconseiller elle n’ont qu’un peu plus de 2 ans et à peine 6000 bornes. Je suis à côté d’une prairie, ce sera mon lieu de bivouac, et j’en profite pour réparer comme je peux mes sacs. L’obsolescence programmée même sur du matériel dit haut de gamme m’énerve un peu. Pardon, m’énerve beaucoup.
Là je suis à Banja Luka, une grande ville sans trop de charme pour une journée d’écriture et de consolidation de sacoches. J’en profite aussi pour faire un petit entretient de Grimp’tout, vérifier que toutes la visserie est bien en place et changer mes patins de freins qui sont bien usées.
A suivre…