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Le projet « A table sur un fil de Soi-e »

Au commencement était un rêve d’adolescent, se casser de là. Le rêve est devenu une envie pressante, l’envie un besoin…

Je pourrais écrire des heures sur les raisons de mon futur départ entre la fuite assumée et la recherche de soi, le rêve aussi.
Le rêve de partir pour commencer, voilà plus de 30 ans qu’il me hante de façon permanente. Quand Claude Marthaler introduit sa conférence sur son tour du monde à vélo en justifiant son départ par une sensation dans le bas ventre. C’est exactement ça ! Je sais dans mes tripes que j’ai besoin de partir. Et plus le temps passe, plus ce besoin s’accentue. Plus l’urgence se fait réelle, j’ai presque 52 ans… bientôt, il sera trop tard

Bien sûr, un voyage au long court, sans destination précise, sans délais. Comporte toujours une part de fuite. Fuite assumée. Je pars parce que je n’en peux plus. Parce que surtout je n’ai plus du tout envie de faire semblant. Semblant que tout va bien.

Je pourrais écrire longtemps sur ce monde dans lequel, quoi que parfois bien intégré, je me sens si mal. Ce monde global, vis à vis duquel la compréhension réciproque semble définitivement et irrémédiablement impossible pour moi. Pourtant, porté par de nombreux idéaux, j’ai rêvé d’un monde meilleurs, plus équitable dans lequel les différences de chacuns et chacunes seraient prises en compte. Un monde où chacun, qui qu’il ou elle soit, aurait la même valeur. Par diverses voies, j’ai eu foi en la perfectibilité de l’humanité. Et malgré tout, le monde à l’échelle macroscopique me semble aller de plus en plus mal. Le monde que les médias nous transmettent est de pire en pire. A tel point que depuis longtemps je me suis coupé de l’info. Parce que simplement, l’info que l’on nous donne me rend littéralement malade. Je n’en peux plus. J’ai envie de fuir, de changer d’endroit au quotidien pour rester dans la découverte, pour tenter de chercher partout l’émerveillement et l’instantané. Fuir ce monde « tristement quotidien dans sa normalité baveuse » comme le chante si bien HF Thièfaine.

Mais si ce monde macroscopique me déprime, me terrorise même souvent, qu’en est il du monde microscopique? Celui de chacun des humains pris séparément. N’est ce pas dans ce petit monde là que réside encore la beauté? Dans ce monde de chaque homme ou de chaque femme qui vaque aux occupations, qui souvent ne lui permettent que de survivre, plus ou moins confortablement. N’est ce pas là que se cache l’espoir ? C’est ce monde là que j’ai envie d’aller visiter humblement à vélo, à mon propre rythme. Rencontrer les humains dans leur quotidien, principalement autour de ce qui leur sert de table autour du partage d’un repas ou d’un quignon de pain.

Le choix du vélo est aussi le choix du chemin vers moi-même. Je me suis redécouvert récemment, j’ai envie de continuer ce chemin. J’ai commencé à m’accepter, certainement peut être pas encore tout à fait, mais j’ai accepté qui je suis. J’ai laissé, en grande partie, tomber le masque derrière lequel je me cachais, même à moi même, surtout à moi même. Essayant de ne plus être le « caméléon » adapté et adaptable qu’en conscience et quand le besoin s’en fait impérieux. Je ne veux plus de « Je ne peux pas, j’ai Touffe !», je veux aussi pouvoir être Arnaud et la redécouverte n’est pas simple, elle demande des efforts pour sortir de ma zone de confort. Mais elle fait tellement de bien.

Depuis peu de temps je « médite », même si je mets encore des guillemets à ce mot que je ne suis pas certain de comprendre. Il n’y a pas un an, j’écrivais encore que la méditation m’était impossible si je n’avais pas roulé au moins 100km à vélo. Depuis peu, cela semble moins vrai, le chemin est encore long mais il m’aide et je m’efforce de l’emprunter tous les jours le mieux possible. Je voudrais que mon voyage soit une grande méditation qui me permette de m’apaiser sans devoir encore recourir à des moyens artificiels.

Comment je le vois, comment je le sens ? Et la réponse est fort compliquée, vous vous en doutiez un peu. Je ne sais pas bien par où commencer. Alors commençons peut être par le sentiment qui domine tous les autres actuellement. La rage, la colère !

La rage et le colère contre moi-même d’abord, contre moi-même surtout, le reste n’en étant finalement qu’une conséquence ou un prémisse ; c’est encore l’histoire de la poule et l’oeuf, on ne sait plus très bien par où ça commence. La colère d’avoir attendu si longtemps pour mettre concrètement en place ce départ dont je rêve depuis 35 ans. La colère de tout ce temps perdu à attendre pour me donner le feu vert que le monde me donne le feu rouge. La colère d’avoir attendu pour partir faire un petit tour de la planète, l’année où même faire un petit tour du quartier est devenu un crime. La colère de ne pas m’être réellement écouté plus tôt et de me laisser m’empêtrer dans des situations qui ne répondent qu’à des besoins fictifs que je me crée, que je m’impose, par convention, par habitude, par facilité.

La colère et le découragement ensuite. La colère contre le monde entier, contre l’humanité en laquelle je crois chaque jour de moins en moins. L’humanité dont les gesticulations arrogantes et égocentristes à préserver sa propre survie en dépit de l’Harmonie de l’Univers en deviennent soit pathétiques, soit risibles, suivant l’humeur dans laquelle je regarde.

Longtemps j’ai cru que la part du Colibri avait un sens réel, que les petits combats faisaient les grandes victoires ou pouvaient y mener, l’héritage sans doute d’avoir été éduqué par une génération qui a connu la guerre comme disaient les anciens. On m’a tellement souvent dit qu’il ne fallait pas laisser tomber, simplement parce que ce n’était pas permissible. Parce que laisser tomber, parce que abandonner les combats c’était laisser gagner l’ennemi. J’ai l’impression d’y avoir mis du mien, selon mes moyens, d’avoir fait de mon mieux comme le dit l’expression, et quand je regarde le monde, dans sa globalité, chaque jour j’ai l’impression que c’est pire que la veille. Et quand j’ai l’impression qu’on touche le fond, il est toujours un abruti pour prendre une pelle. Je me suis pris à imaginer une autre fin à la légende du Colibri, une fin qui me semble peut être moins morale, ou moins politiquement correcte mais dont le réalisme me désole, un peu. De moins en moins à vrai dire. « Et l’agitation du Colibri attira le regard d’un rapace qui passait par là. La forêt fut détruite par le feu et le rapace qui avait mangé eut l’énergie nécessaire et put rejoindre une contrée lointaine. Le rapace vécu heureux, il eut de nombreux petits rapaces dont il mangea les plus faibles ». Je ne voyagerai pour aucune cause, fut-elle généreuse, je n’ai plus la naïveté de penser que cela puisse changer quoi que ce soit.

Un truc est sûr, le besoin de partir évoqué précédemment est toujours là, plus que jamais. Je ne sais ni vers où, ni exactement quand je prendrai la route, mais je sais que rester, me demande chaque jour plus de courage qu’il ne m’en faudrait pour affronter le plus raide des cols. Alors le départ reste une certitude, le plus vite possible. URGENCE !

Erasme écrivait dans son très bel éloge de la folie, « un repas est insipide, s’il n’est assaisonné d’un brin de folie ».

Passion, cuisine…

Manger, action élémentaire qui consiste à se nourrir pour faire le plein d’énergie et de nutriments afin de pouvoir assurer les autres actions élémentaires qui ensemble distinguent l’animal du végétal. Tous les animaux mangent, mais un seul cuisine. C’est à dire qu’un seul pratique l’art d’accommoder les aliments, de les transformer et d’en associer, les saveurs, les odeurs, les couleurs, les textures afin que les repas aient une fonction plus large, qui ne se limite pas à simplement s’alimenter, mais qu’il procure aussi un plaisir. Nous sommes nés par hasard sans le vouloir, nous mourons probablement de même, et le cuisine me semble être un Art Majeur qui permet de rendre tout ça un peu moins vain. Manger devient alors, une action qui tend à rendre la vie moins absurde qu’elle n’est, à lui donner un sens. La recherche du plaisir donne goût à la vie, en tout cas à la mienne.

Parmi les plaisirs possibles, celui de manger me semble un des plus importants, parce que manger est un acte quotidien qui se partage. On cuisine rarement seul, ou plutôt, on cuisine rarement pour soi tout seul. Seul, on se contente de se faire à manger, ou pire de se faire à bouffer, pour simplement s’alimenter, on mange sur le pouce, vite fait, sans rituel, sans plaisir. Dès que l’on cuisine pour plusieurs, c’est, le plus souvent, dans le but de partager le plaisir de la nourriture et du moment pendant lequel on la consomme. On ritualise le moment de mettre la table, d’y passer un moment ensemble. Cuisiner peut donc être un acte de foi terrestre et de communion athée, mais qui n’est pas forcément dénué de spiritualité, il serait d’ailleurs à mon sens dommage qu’il le soit.

Cuisiner est aussi, bien évidement un acte culturel. On ne cuisine pas partout de la même manière et c’est une des richesses de ce monde. La cuisine, ou plutôt, les cuisines, devraient être classées au Patrimoine de l’Humanité comme un Art Majeur qui en dit long sur chacun. « Dis moi comment tu cuisines, je te dirai qui tu es ». « Dis moi comment tu manges, je te dirai qui tu es ». Deux maxime qui valent au moins autant que toutes les autres construites sur la même forme. L’importance que l’on accorde à ce moment du repas en dit souvent long sur la personnalité et sur la capacité qu’on a, à prendre soin de soi même et des autres.

J’ai l’envie, le rêve et la passion, depuis fort longtemps de découvrir les cuisines du monde. C’est pour moi une raison suffisante pour voyager, à vélo. Parce que je ne mange pas pour pouvoir pédaler, je pédale pour pouvoir manger. C’est en ce sens que je construis mon projet de voyage. Partir à vélo vers l’Orient et l’ailleurs à la rencontre des casseroles, des marmites et de ceux qui les font vivre. Voyager pour entrer dans les cuisines des gens, c’est presque aussi intime que d’entrer dans leurs salles de bain, et c’est sûrement beaucoup plus intéressant. Mon vélo et les cuisines comme moyen de communication au delà des barrières linguistiques, sociales et culturelles . Une ouverture vers le monde, un partage qui n’a pas besoin de mots, comme un sourire.

Le chemin sera long… surement plus de 10000km sur la terre, mais combien dans ma tête, des milliers de fois plus sûrement…