Toutes
les images qui illustrent ce voyage et quelques autres sont en grand
format dans les galeries
Un
voyage qui commence dans la plus grande improvisation, au départ,
j'avais prévu d'aller pédaler quelques jours en Crête,
puis que Valérie et Hadrien me rejoignent pour une semaine
en famille. Je m'y suis pris beaucoup trop tard pour les billets et
les tarifs étaient devenus trop élevés, il fallait
changer de plan. Après une nuit de réflexion, je retourne
à l'agence de voyages, l'atlas sous le bras. L'idée
est de chercher une destination autour de la Méditerranée,
au hasard, ma première idée. Istanbul ? Le prix est
raisonnable, sur carte je réfléchis vite, un retour
d'Ankara, c'est possible ? Ok projet adopté !
Le projet théorique devient donc de pédaler d'Istanbul
à Ankara en 10 jours et de passer ensuite une semaine en Turquie
en famille... On verra où plus tard !
Ensuite, j'ai failli ne pas partir, j'ai traîné une angine
pendant quelques semaines et celle-ci à peine soignée,
je retournais au lit pour une grippe. Ce n'est donc, ni en super forme,
ni bien entraîné que je prends le départ pour
Istanbul.
Dans l'avion, je consulte pour la première fois sérieusement
mon guide (que pour une fois j'ai emporté)
et ma carte. J'ai une vague idée pour les premières
étapes... J'arrive à Istanbul avec pas mal de retard,
la nuit approche, pas le temps d'effectuer sans risque le trajet vers
le centre ville et de me mettre à chercher un hébergement.
Je décide de réserver depuis un bureau de l'aéroport,
une chambre et un transport vers l'hôtel avec Grimp'tout. Ce
sera la chambre la plus chère du séjour... et ne parlons
pas du rapport qualité prix ! Je passe une partie de la soirée
à déambuler sans but dans les rues d'Istanbul et me
couche tôt.
Le lendemain, la journée commence fort, un bon 10 % en pavés
devant l'hôtel comme mise en jambe... Arg c'est dur ! Ensuite
parcours de quelques km entre les rails de tram et les trous de la
route pour rejoindre l'embarcadère où je dois prendre
le bateau pour traverser le Bosphore. Dans la file en attendant celui-ci,
je rencontre deux cyclos israéliens en route pour la Chine.
Ils sont pour quelques jours à Istanbul en quête de visas
pour leur voyage. Nous discutons un peu puis nos chemins se séparent
quand je débarque sur le sol asiatique... Je suis en Asie,
Mineure certes mais en Asie quand même... Grimp'tout sur un
nouveau continent ! C'est donc excité comme un gamin que je
prends
la route vers Sile, pas trop certain du nombre de km, ni du dénivelé
à parcourir. Les quelques premiers km vers Beykoz sont sans
la moindre difficulté, on longe l'eau du Bosphore. Dès
Beykoz par contre l'euphorie retombe vite, la côte est violente,
raide et il fait presque trop chaud... J'ai soif et les jambes en
coton, c'est dur ! Au sommet de l'ascension, je suis dans de riches
quartiers de la banlieue d'Istanbul, villas avec gardien et haute
sécurité. Ma carte, à beaucoup trop grande échelle,
ne m'est que peu utile, pour mon orientation je peux me fier à
quelques panneaux ou le faire "au cap" à l'aide du
GPS (pas de carte interne précise pour la Turquie, seules les
villes, les gros villages et quelques routes importantes sont dans
la mémoire). Je cafouille donc un peu sur quelques nouvelles
routes qui figureront probablement sur la prochaine édition
de ma carte. Un policier m'induit ensuite en erreur en m'envoyant
vers Sile par la grand route... Heureusement le trafic n'est pas trop
intense et les gros camions sont très fortement ralentis par
la raideur de la grimpette. A quelque 20 km de Sile, je débusque
l'ancienne route, nettement moins fréquentée qui sera
plus agréable pour rejoindre ma destination. Destination dont
je commence d'ailleurs à douter, je suis fatigué, les
jambes ne répondent plus trop et j'avance comme un escargot.
Je longe quelques propriétés importantes, certaines
agricoles, d'autres résidentielles, à plusieurs reprises
je sollicite l'autorisation de planter ma tente dans un endroit discret.
On ne doit pas me comprendre car chaque fois on me renvoie vers Sile
munis de quelques provisions ou abreuvé de thé. J'arrive
finalement à destination au coucher du soleil, vidé.
Le premier gîte rencontré est un bungalow tout à
fait abordable et correct, je m'y couche très tôt, espérant
récupérer un peu en prévision de la deuxième
étape.
Pour la seconde étape, j'ai décidé de longer
la côte vers Agva, en bon belge, j'espère y trouver un
relief moins tourmenté que la veille. Je rêve, il est
pire ! Dès le départ, je me lance dans une série
ininterrompue de montées et descentes infernales. Mon manque
d'entraînement se fait un peu trop sentir, heureusement, les
paysages me permettent de penser à autre chose qu'à
la route et je progresse lentement mais sûrement. A Karacaköy,
je découvre une plage qui aurait pu être un petit paradis,
si comme beaucoup d'endroits en Turquie, elle n'était pas aussi
sale. Dans chaque village, je m'arrête un bout de temps au bar
à thé pour souffler un peu et c'est finalement en fin
de journée que j'arrive liquidé à Agva. J'y trouve
une auberge sympathique où je décide de passer deux
nuits. Je passe donc ma troisième journée à flâner
dans la petite station au rythme de mes pas, Grimp'tout bien au chaud
dans ma chambre.
Le quatrième jour, j'ai décidé de prendre le
bus sur une partie du parcours, afin de me dispenser d'un
tronçon qui présente sur carte assez peu d'intérêt.
Je me lève tôt pour attraper le bus matinal. En route
vers celui-ci, pas encore éveillé, je passe en plein
centre d'un nid de ptérodactyle (ce sont des sortes d'autruches
géantes qui nichent au milieu des routes et y laissent de grands
trous), mon porte-sacoche avant se casse net, il va falloir réparer.
Arrivé en bus à Sakarya (Adapazari), ma première
préoccupation est de trouver un hôtel abordable pour
y laisser mes sacoches et ensuite de partir en quête d'un soudeur
capable de réparer l'alu de mon porte-sacoche. Celui-ci, dans
son état, ne m'empêche pas de rouler calmement, aussi,
c'est à vélo, chargé de mes bagages que je parcours
la ville à la recherche du gîte. Un adolescent, sur le
bord de la route me tend un drapeau turc, j'installe celui-ci sur
ma sacoche de guidon et j'effectue mes derniers km sous quelques acclamations
de la foule... un peu comme Virenque entrant à Morzine ! Je
passe une partie de mon après-midi à la recherche d'un
soudeur, que je trouve finalement sans trop de problèmes. A
toute chose malheur est bon... grâce à ce porte-sacoche
cassé j'ai passé un après-midi extra ! La ville
est moche, elle n'a vraiment rien pour elle... une grande ville pas
riche qui ne l'a sans doute jamais été. De plus à
quelques km de l'épicentre du tremblement de terre de 99 elle
en porte encore quelques séquelles, certains bâtiments
écroulés n'ont pas été reconstruits et
ceux qui sont restés debouts n'ont de toute façon jamais
été beaux... Je me suis donc promené à
pied au hasard des rues... sans plan (pourquoi faire des plans pour
des touristes qui ne viennent quand même pas là?). Je
me suis volontairement perdu en chemin (m'en fiche, j'ai mon GPS en
poche et lui seul sait où est l'hôtel quand je veux rentrer
je n'ai qu'à le lui demander. Je suis entré dans les
galeries commerçantes, celles des bijouteries trop kitch, celles
des fringues trop ringardes et finalement dans le marché des
produits alimentaires frais (miam!)... J'y ai passé certainement
deux heures, magnifiques !
Pommes, poires, tomates, fraises, oranges, citrons, courgettes, aubergines,
olives, épices, poissons, fromages, viandes, salades, choux....
des couleurs, des odeurs, des sons, rien que du bon! Envie de tout
acheter, de tout goûter... et compte tenu des prix on pourrait...
Je me suis arrêté pour boire un ou l'autre thé
que l'on m'offrait dans les échoppes, j'ai fait plein de photos,
tenté d'enregistrer quelques sons (ça c'est la première
fois considérons la comme un essai, il y a encore beaucoup
de choses à apprendre)... J'ai même
parlé néerlandais (dur dur!) avec un turc d'Amsterdam
(bonjour l'accent !). Quand les Turcs sentent que l'on s'intéresse
à eux, à leur présent et pas uniquement à
leur très riche passé alors le contact se fait facilement,
même sans les mots qui souvent restent incompréhensibles
pour au moins une des parties... quel pied ! Finalement je ne vais
peut-être pas acheter de porte-bagages plus solide, pour casser
encore, pour les rencontres que cela apporte, vivent les ptérodactyles.
Le cinquième jour, je me lève en pleine forme, je jette
un coup d'il par la fenêtre, temps couvert mais sec. Rapidement,
je me prépare à partir. A peine ai-je mi le pied dehors
qu'il commence à pleuvoir doucement, je couvre mon dos et les
sacoches et je prends la route. La pluie s'intensifie progressivement,
les routes sont glissantes et la circulation très dense en
devient dangereuse, je roule un oeil dans le rétroviseur, un
second partout! Rapidement, le système de drainage et d'égouttage
se trouve dépassé par l'averse, de mouillées
les routes deviennent inondées et moi je prends ma douche par
le dessus, mais aussi par le dessous au passage de chaque véhicule.
Sans compter qu'avec l'eau, je ne distingue plus les trous. Mon rétroviseur
me sauve la vie, j'y vois une voiture arrivant par derrière
à trop grande vitesse à mon goût. Je me gare rapidement
sur le trottoir pour la laisser s'encastrer dans la file arrêtée
au feu rouge. Je ne reste pas sur les lieux de l'accident, premièrement
parce que j'ai eu trop peur, deuxièmement parce que la présence
de nombreux témoins turcs rend mon témoignage francophone
inutile. Un peu plus loin, à la sortie de la ville, le trafic
devient moins dense, mais plus rapide et les conditions sont particulièrement
mauvaises, en plus de la pluie, voilà maintenant que le
plafond baisse et que le brouillard se forme. Un motocycliste me dépasse
phare allumé, trente à quarante mètres devant
moi, il a complètement disparu dans le nuage de brouillard,
de pluie et de projections. Je me rends compte à quel point
je suis peu visible sur le bord de cette chaussée, malgré
mes lampes clignotantes, mes sacoches fluos et ma veste rouge. C'est
bon, j'abandonne... Je fais demi-tour et très prudemment, souvent
sur le bas côté de la route je retourne en ville. Sans
idée précise, je m'arrête à la gare routière,
il y a un bus qui part bientôt pour Bolu, OK, je prends. Dans
le bus, je me réjouis de ma décision, sur certains tronçons,
le brouillard est dense et la neige tombe, c'est grâce à
de gros feux oranges clignotants disposés régulièrement
le long de la chaussée que les véhicules parviennent
à se maintenir sur les voies de circulation. Visibilité,
moins de 30m! Arrivé à Bolu, je me trouve rapidement
un hôtel. Grimp'tout est monté dans la chambre par le
jeune garçon de l'accueil, celui-ci pas trop habitué
à porter un vélo chargé, manque de trébucher
une ou deux fois dans l'escalier. Je veille pour le rattraper. Je
passe le reste de la journée à flâner et à
attendre une amélioration météorologique prévue
pour le lendemain.
Le sixième jour, je me lève lentement sous un ciel maussade,
je décide de ne pas partir et de tenter
le coup d'une randonnée à vide dans l'après-midi.
Vers midi, le temps s'améliore et je prends la route vers le
sud en direction d'un col dont j'ignore, le nom, la longueur et l'altitude
Je traverse pour commencer la large vallée fertile de Bolu,
en direction de Karacasu où l'ascension commence. A mi-pente,
une bifurcation qui n'est pas mentionnée sur ma carte me fait
hésiter, je prends une direction au hasard et arrive dans le
petit parc touristique de Gölcük. En faisant le tour du
lac, je m'arrête pour observer les crapauds, nombreux aux abords
pour la saison des amours. En remontant sur Grimp'tout, j'ai une sensation
étrange, ma roue arrière semble lourde, anormalement
amortie. Rapidement le diagnostic se confirme, j'ai réussi
à crever avec un pneu Schwalbe Marathon. La première
crevaison en trois ans! Heureusement j'ai de quoi réparer et
je reprends rapidement l'autre route à l'intersection pour
grimper vers le sommet. Vers 1300m d'altitude, il commence à
y avoir un peu de neige sur les talus, au sommet, vers 1600 m, il
reste en dehors de la route, une bonne couche assez ancienne qui laisse
présager de ce que peut être l'hiver turc. J'effectue
une descente prudente, me méfiant toujours des ptérodactyles
qui nichent dans la région. A mon retour à Bolu, je
me décide à aller tester le hammam, quel pied après
l'effort! Le sauna, ensuite le massage lavant, énergique et
décontractant musculaire. Juste ce qu'il faut pour récupérer.
Le
lendemain, la météo est de nouveau aux chutes de neiges
importantes, je ne pars pas, je reste à Bolu et me promène
en ville et au marché. Le huitième jour, je prends le
bus vers Ankara assez tôt le matin, j'ai pris la précaution
de faire réserver un hôtel par téléphone
depuis Bolu. L'arrivée à la gare routière d'Ankara
est impressionnante par les dimensions de l'édifice, plus de
100 quais! J'y déniche difficilement un plan de ville qui va
me permettre de m'orienter sans trop de difficultés à
l'aide du GPS. J'entame les 10 km les plus fous de ma carrière,
la circulation est très dense, rapide en certains endroits,
mais surtout Ankara est une agression auditive et olfactive permanente.
Les moteurs et klaxons font un bruit à rendre dingue. Je progresse
lentement, sur le trottoir quand c'est possible. J'arrive finalement
vidé à l'hôtel et me contente d'une petite balade
au marché pour conclure la journée.
Au programme de ma dernière journée en solitaire, la
visite du musée des civilisations anatoliennes (une des rares
choses intéressantes à voir dans la ville selon mon
guide) et balade dans la ville et les commerces. En début de
soirée, je conduis Grimp'tout à la consigne de l'aéroport
pour une semaine, les tarifs sont exorbitants,
près de 150 Euros pour 7 jours! J'attends ensuite Valérie
et Hadrien qui atterrissent vers 23h avec un peu de retard.
Le lendemain, je négocie à l'hôtel la possibilité
de laisser mon vélo dans l'établissement en réservantune
chambre pour la dernière nuit. Je vais récupérer
Grimp'tout à la consigne et le ramène en ville. Ensuite,
nous décidons de louer une voiture et de prendre la direction
de la Cappadoce, que nous découvrons en famille avec beaucoup
de plaisir pendant quelques jours. La région offre un grand
éventail de possibilités, tant en promenades qu'en visites
culturelles, l'idéal avec Hadrien qui prend plaisir à
grimper partout pour découvrir les nombreux vestiges d'églises
et d'habitations troglodytes...
Il y a quelques années, j'aurais probablement considéré
ce voyage comme un échec, j'ai pédalé tellement
peu. Mais, en fait, il n'en est rien, j'ai commencé à
découvrir un nouveau pays, culturellement plus éloigné
de ceux que jusque là je connaissais un peu, un nouveau continent
aussi. Mon sous-entraînement et les conditions météorologiques
ne m'ont pas permis d'en faire autant que je l'avais rêvé.
Qu'importe!
La Turquie est un pays fascinant, au carrefour de l'occident et de
l'orient depuis la nuit des temps, elle porte en elle les traces de
toutes les civilisations qui l'ont traversée. Souvent surprenante,
elle est aussi parfois contradictoire et j'ai l'impression que ce
que j'en ai appris pendant ces deux semaines me permettra de l'appréhender
mieux quand j'y retournerai.
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